Mercredi 9 mars 1842 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Paris) à ses oncle et tante Auguste Duméril l’aîné et Alexandrine Cumont (Lille)

lettre du 9 mars 1842 (A), recopiée livre 6 page 95.jpg lettre du 9 mars 1842 (A), recopiée livre 6 page 96.jpg lettre du 9 mars 1842 (A), recopiée livre 6 page 97.jpg lettre du 9 mars 1842 (A), recopiée livre 6 page 98.jpg


De Constant Duméril fils.

Paris 9 Mars 1842.

Mon cher oncle et ma bonne tante.

Nous avons reçu hier d’Eugénie[1] un petit mot qui nous a bien troublés, non sans motifs, comme vous allez le voir.

Depuis son dernier voyage à Lille, Auguste mon frère, nous a parlé souvent des tendres sentiments qu’Eugénie a éveillés en lui, et de tout le bonheur qu’il pouvait espérer, si un jour il pouvait obtenir sa main : ces sentiments ne sont pas récents, mais ils ont pris bien plus d’énergie, depuis le séjour que vous avez fait à Paris, à l’occasion du mariage d’Auguste[2]. Ce pauvre frère était très malheureux, car il sentait que sa cousine arrivait à un âge[3] où vous deviez désirer la voir se marier, et lui, n’osait pas se présenter, n’ayant pas de position assurée ; d’ailleurs, son avenir était encore fort incertain : deux carrières s’ouvraient devant lui : l’une, celle de la chirurgie, qui avait été son premier but, exigeait encore bien des années de sacrifice, mais pouvait faire espérer, pour plus tard, une position brillante ; pour la science, il fallait, après Pâques, époque à laquelle il doit soutenir sa thèse pour le doctorat, quitter le jardin des plantes et la vie de famille, pour aller se loger tout seul dans un quartier vivant, et chercher de la clientèle, en attendant qu’il se présentât l’occasion de concourir pour une place dans les hôpitaux, ou, plus tard, pour une chaire à la faculté ; il fallait s’attendre à beaucoup de concours, et à de nombreux échecs, avant de parvenir, car, devant lui, il y avait des gens de grand mérite, auxquels de nombreuses luttes, soutenues avec avantage, donnaient des titres incontestables ; il fallait faire des sacrifices d’argent, pour vivre d’une manière honorable dans son nouveau ménage ; il fallait repousser l’espoir de se marier avant 6 ou 8 ans ; c’était renoncer à demander Eugénie.

L’autre carrière, celle des sciences naturelles, était d’un abord plus facile : il avait déjà une petite place au jardin des plantes, il pouvait la suivre, en restant auprès de nos parents : le nom de mon père[4] pouvait lui être fort utile ; il pouvait, sous peu de temps, espérer d’autres petites places, qui lui permettraient d’attendre, sans sacrifices d’argent, une position plus importante, mais jamais fort brillante : il trouvait devant lui bien moins de concurrents redoutables.

Ces idées le préoccupaient fortement ; il avait mis par écrit un parallèle des chances que lui offraient ces deux carrières ; souvent il m’en parlait, et il se demandait si, en suivant celle des sciences, il pouvait espérer obtenir la main d’Eugénie.

Telle était la position, quand nous avons reçu la lettre d’Eugénie, qui nous demandait conseil, à Félicité[5] et à moi, sur le parti qu’elle devait prendre, vis à vis du parti qui se présentait pour elle ; je n’ai pas cru pouvoir me dispenser de prévenir Auguste du danger qui menaçait ses plus chères espérances. De suite, il a résolu lui-même de vous exposer sa position et de venir vous demander s’il pouvait espérer d’obtenir la main d’Eugénie quand une seconde place, qu’il pense pouvoir espérer, d’ici à un an, viendrait augmenter son petit revenu, s’il s’est décidé pour les sciences naturelles.

Voilà ce qui s’est passé : j’espère que tous deux, vous approuverez ma conduite, dans ces circonstances fort délicates : j’ai la conscience de n’avoir pas agi étourdiment, et d’avoir cherché, autant que possible, à ne pas me laisser influencer par l’idée du bonheur que nous pouvions personnellement attendre de cette union.

Maintenant, nous attendons avec calme, la solution que vous croirez devoir donner à cette grande affaire.


Notes

  1. Eugénie Duméril, cousine de Louis Daniel Constant.
  2. Charles Auguste Duméril, cousin de Louis Daniel Constant et frère d’Eugénie, a épousé Alexandrine Brémontier en 1841.
  3. Eugénie est née en 1819. Elle a donc 23 ans et Auguste 30 ans.
  4. André Marie Constant Duméril.
  5. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant et sœur d’Eugénie.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 95-98

Pour citer cette page

« Mercredi 9 mars 1842 (A). Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Paris) à ses oncle et tante Auguste Duméril l’aîné et Alexandrine Cumont (Lille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_9_mars_1842_(A)&oldid=35262 (accédée le 10 mai 2024).

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