Mardi 19 mai 1863

De Une correspondance familiale


Lettre de Félicité Duméril (Vieux-Thann) à Eugénie Desnoyers, amie de sa fille décédée (Paris)


Vieux Thann 19 Mai 1863

Mille remercîments, ma chère enfant, pour les manteaux que toi et Aglaé[1] avez achetés pour nos chères petites[2], ils sont d'un goût parfait et je les regarde avec double plaisir puisqu'ils sont choisis par des personnes que nous aimons tant. Notre bon Charles[3] nous est revenu Samedi matin en bonne santé et peu fatigué de son voyage. Mesdames Mertzdorff[4] et Zaepffel[5] s'étaient rendues de leur côté à Paris, mais mystérieusement parce qu'elles avaient affaire avec le dentiste, et ne voulaient voir personne, malheureusement plus d'un habitant de Thann les a rencontrées sur le boulevard, de là plus d'une conjecture sur ce voyage de Paris dont il aurait été bien mieux de ne pas faire mystère.

Nos chères petites ont été un peu souffrantes en l'absence de leur père, la petite Emilie a de temps en temps des mouvements de fièvre causés par le travail de ses grosses dents, quant à Miky elle a eu aussi la fièvre la semaine passée, la langue était blanche et deux aphtes lui sont venus à l'entrée de la gorge. Notre chère Caroline[6] rêvait toujours pour ses enfants l'air de la mer : cette pensée me vient souvent à l'esprit puisque c'était celle de notre bien aimée ; dans tous les cas, je crois qu'un changement d'air leur ferait du bien à toutes deux, mais Charles parait repousser ce projet, du moins pour cette année. Si mon petit monde va bien, j'irai cette semaine passer quelques jours à Morschwiller[7]. Les conversations de mon bon mari si remplies de belle et solide piété amènent toujours un peu de calme dans mon cœur et mon pauvre esprit. Il juge d'après mes entretiens que je dois me laisser aller trop à l'expansion de ma douleur en écrivant, excuse-moi donc, ma chère enfant, si dans mes dernières lettres, il en a été ainsi, va, je ne comprends que trop la peine que tu as à m'écrire, te connaissant si bien, et comptant si bien sur ton attachement, jamais jamais ton silence ne sera mal interprété par moi. Embrasse bien pour moi ma chère Aglaé. Ce matin où je l'ai aperçue à sa fenêtre, il me semblait voir la belle, pure et noble figure de ma bien aimée. Dis-lui que je suis bien contente qu'elle ait à présent une bonne fille pour cuisinière, car les domestiques ont plus d'influence qu'on ne pense sur la santé des femmes qui ont un ménage à diriger. Ce pauvre cher Julien[8] a dû en effet bien souffrir par le mal dont il vient d'être atteint. Le bon air qu'il va respirer de temps en temps à Montmorency lui est bien nécessaire, à présent surtout qu'il est dans le fort des études et du travail.

Je reprends après le dîner cette lettre ma chère enfant, qui ne pourra partir que demain. Nos chères petites viennent d'être charmantes pour leur bon père qui est accusé de les gâter un peu, mais hélas ! ne faut-il pas qu'il leur tienne lieu de père et de mère tout à la fois. Les mouvements gracieux et l'enjouement de ces chères petites ravissent tout le monde. Charles m'a rapporté d'excellentes nouvelles de ma chère famille, ma bonne mère[9] va bien et il a trouvé excellente mine à mon frère[10].

Adieu ma Nie-Crol, il est doux à mon cœur de joindre ces deux mots en t'écrivant. Embrasse ta bonne mère[11] comme je l'aime et ne nous oublie pas auprès de ton bon père.

F. Duméril

A l'instant arrive Madame Zaepffel, son mari vient de perdre une nièce charmante âgée de dix-sept ans. Hélas ! partout de la douleur sur cette terre.

Notre bonne Cécile[12] a rêvé de toi avant-hier, et c'est avec une bien douce émotion qu'elle m'a raconté son rêve.


Notes

  1. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et sœur d’Eugénie.
  2. Marie (Miky) et Emilie Mertzdorff.
  3. Charles Mertzdorff, père des petites et gendre (veuf) de Félicité.
  4. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff et mère de Charles.
  5. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel et sœur de Charles.
  6. Caroline Duméril, décédée, fille de Félicité et épouse de Charles Mertzdorff.
  7. Félicité habite auprès de ses petites-filles à Vieux-Thann ; son époux Louis Daniel Constant Duméril demeure à Morschwiller.
  8. Julien Desnoyers, frère d’Eugénie.
  9. Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné.
  10. Charles Auguste Duméril.
  11. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  12. Cécile Besançon, domestique chez les Mertzdorff, attachée au service des fillettes.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 19 mai 1863. Lettre de Félicité Duméril (Vieux-Thann) à Eugénie Desnoyers, amie de sa fille décédée (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_19_mai_1863&oldid=40777 (accédée le 10 mai 2024).

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