Jeudi 27 février 1873

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


Paris le 29 Février 1873.[1]

(Jeudi)

Mon cher petit père,

Que j'ai d'excuses à te faire. J'avais bien raison dans ma lettre d'hier[2] de te dire que j'avais la tête à l'envers je l'avais si bien que j'ai tout simplement oublié de mettre ta lettre à la poste car je t'avais écrit le matin ainsi que tante[3] et que j'avais transporté ma lettre toute la journée dans mon calepin. Je suis sûre que tu me reconnais bien là je te demande mille pardons. Nous venons de recevoir ta longue longue lettre qui nous a fait un immense plaisir nous l'avons lue toutes les deux[4] à la fois tu es bien bon de nous écrire ainsi nous t'en remercions mille et mille fois.

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Que je suis donc ridicule je m'aperçois que je t'écris sur une feuille de papier sur laquelle j'avais commencé une lettre à mon compère[5] décidément je n'ai plus de tête.

Que je te raconte maintenant notre cours[6] d'hier.

Nous avons déjeuné chez bonne-maman[7] qui était un peu fatiguée bon-papa[8] était à Montmorency avec les domestiques[9]. Nous avons quitté à midi 20 minutes et sommes allées rue de Seine à pied.

En arrivant j'ai un peu causé puis nous nous sommes mises au travail. Mlle Boblet n'a pas encore pu y venir. On a commencé par faire de l'analyse de vive voix pour laquelle j'ai été 1re. J'étais entre Lucile Denormandie et Marthe Tourasse puis nous avons fait la dictée je crois que je n'ai pas fait trop de fautes car elle était facile mais il est vrai que si elle

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l'était pour moi elle l'était pour tout le monde. Puis nous avons eu la récréation. je me suis très bien amusée mais n'ai pas causé plus particulièrement à l'une qu'à l'autre. Les élégantes ont parlé tout le temps de bals de figures de cotillon & & & je ne me rappelle plus.

Puis nous avons eu le terrible concours de récitation tout le monde tremblait. La 3e division a récité d'abord puis la 2e division ce sont les autres qui ont décidé de celles qui devaient être 1res et ont été proclamées Henriette Baudrillart et Geneviève Chasol. enfin arrive notre tour on nous fait changer de place et mettre devant Mlle Bosvy. par malheur je me trouve être la première du bout alors j'ai supplié Lucile de prendre ma place lui disant que c'était la 1re fois que je récitais et quoique cela l'ennuya fort

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elle le voulut bien. heureusement on commença par l'autre bout et nous avions un morceau pas par trop difficile : les Hirondelles[10]. Marie Des Cloizeaux a été interrompue dans son morceau par des éclats de rire car elle a une si drôle de voix et puis est-ce qu'elle n'a pas dit soupe au lieu de sœur aussi n'a-t-elle plus pu continuer car aussitôt qu'elle recommençait tout le monde partait de rires. Enfin mon tour approche, Marthe récite il me semble que les paroles ne vont pas vouloir sortir de ma bouche car toutes les dames écoutent et les petites filles sont prêtes à partir de rire. cependant je commence d'abord les paroles ne partent pas puis je me rassure et récite jusqu'au bout enfin Lucile récite elle était toute pâle. Voilà donc le terrible moment arrivé on va proclamer les 1res

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Henriette prend la parole et dit... Marie Mertzdorff et Lucile Denormandie qui sont jugées 1ères à l'unanimité !

On passe au 2ème mais on trouve que Marthe Tourasse avait récité beaucoup mieux que les autres et un peu moins bien que les 1res aussi elle recommence et le dit parfaitement.

Je t'assure que c'était un concours extrêmement palpitant.

Nous avons fait ensuite un concours écrit de grands hommes et sommes parties car il était très très tard. Nous sommes rentrées à pied avec Mme Pavet[11].

Nous allons avoir tout à l'heure notre leçon et à 2h Mme Baudrillart[12] doit amener Henriette nous nous réjouissons bien de la voir.

11h 1/4. Je viens de déjeuner et de prendre ma leçon j'ai fait presque tout le temps de l'analyse qui maintenant

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va beaucoup mieux comme Mlle Bosvy le reconnaît elle-même et elle voudrait bien que Mercredi je sois 1re ou 2me au concours écrit que nous aurons moi aussi je le voudrais bien.

Que je me réjouis donc de te voir cher petit papa tu nous trouveras parfaitement bien portantes toutes les deux je ne tousse presque plus du tout et je dors comme un loir aussi ne te tourmente pas.

J'avais beaucoup de choses à te dire tout à l'heure et maintenant je ne m'en rappelle plus cependant tu vois que je t'ai écrit une bien longue lettre (pour moi) car les tiennes sont si bonnes et si longues.

Adieu, donc, cher petit papa maintenant que tu es au courant de notre vie de hier et de ce matin et que j'espère tu m'as pardonné ma trop sotte étourderie d'hier je t'embrasse comme je t'aime c'est à dire à t'étouffer. Émilie se joint à moi pour t'envoyer tous ses baisers

Marie Mertzdorff.

Tante et oncle[13] te font bien des amitiés

Cécile[14] te fait dire bien des choses.

Nous t'enverrons la lettre de demain à Morschwiller


Notes

  1. Lettre sur papier deuil, 6 pages numérotées.
  2. Voir la lettre du 26 février.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  4. Marie et sa sœur Émilie Mertzdorff.
  5. Paul Duméril, parrain de Louise Soleil.
  6. Cours des dames Boblet.
  7. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  8. Jules Desnoyers.
  9. Probablement François et Pauline, domestiques chez les Desnoyers.
  10. Probablement « Ce que disent les hirondelles », Emaux et Camées (1852), de Théophile Gautier (1811-1872).
  11. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  12. Félicité Silvestre de Sacy, épouse d’Henri Baudrillart.
  13. Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
  14. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 27 février 1873. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_27_f%C3%A9vrier_1873&oldid=57001 (accédée le 10 mai 2024).

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