Jeudi 12 novembre 1914

De Une correspondance familiale



Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris)


original de la lettre 1914-11-12 pages 1-4.jpg original de la lettre 1914-11-12 pages 2-3.jpg


BRUNEHAUTPRÉ Campagne-les-Hesdin   
Brimeux  Pas-de-Calais[1]

12 Novembre

Mon cher Louis,

Comment vas-tu ? as-tu reçu ta première inoculation ? t'a-t-elle occasionné de la fièvre ? M. Parry que nous avons fait chercher hier soir pour Victor[2] qui était tombé dans l'escalier de la cave en descendant une manne de charbon trouve que tu fais très-bien de prendre cette précaution et a l'intention de la prendre pour lui-même aussitôt qu'il le pourra. Il voudrait beaucoup savoir quel système on emploie pour toi, si c'est le système Vincent[3] ou l'autre (je ne sais plus le nom) et espère que tu me donneras des détails que je pourrai lui communiquer. Il a soupé avec nous et nous a parlé de toi à bien des reprises. Le pauvre garçon a été, pour un moment, complètement surmené, ayant lui-même la grippe et étant obligé de courir à St Rémy[4], à Gouy[5] où il y avait plusieurs cas de diphtérie ; obligé d'aller à Montreuil plusieurs fois, toujours à bicyclette, pour chercher du sérum, une seringue à injections que personne ne pouvait lui fournir. La Sœur Désirée qui l'a vu dans ce moment-là disait que sa mine faisait pitié. La pèlerine anonyme lui sert toujours beaucoup.

Tu nous as dit dans une dépêche que « cousin Henri » était venu prendre des nouvelles. Mais ni Lucie[6] ni toi n'en avez parlé dans aucune lettre de sorte que nous ignorons quel cousin Henri, si c'était de Douai[7] ou de Lille, si vous l'aviez vu ; cela nous intéresserait beaucoup, que ce soit celui de Lille ou celui de Douai, de savoir ce que vous savez.

Tu as parfaitement raison de ne pas vouloir vivre aux crochets de la pauvre Lucie qui a une lourde maison. Tu ferais très-bien de t'arranger avec elle pour prendre, par exemple, la moitié des dépenses du ménage. Je pense qu'elle ne fera pas trop de façons pour accepter cet arrangement. J'avais avancé 200 F à Zoé[8] pour le cas où elle resterait seule à Paris après le départ de Lucie ; il n'y a aucune raison pour garder cet argent en réserve puisque Lucie et toi restez dans l'appartement.

C'était le ton général de la lettre de Pierre[9] du 26 Octobre que j'avais trouvé un peu mélancolique, il commençait à être souffrant et venait d'être mis aux arrêts de rigueur pour 4 jours par son capitaine à cause d'un retard de 2 minutes dans le pointage ou quelque chose d'analogue. Le Capitaine assez nerveux, mais très-bon, a levé, paraît-il sa punition le lendemain. Mais évidemment cette punition n'était pas très justifiée et avait dû paraître au pauvre Pierre plus douloureuse qu'il ne voulait le laisser paraître. C'est alors que Moré a dû le voir. Il paraît bien remis d'aplomb maintenant au moral comme au physique ainsi qu'il résulte de la lettre dont je t'ai envoyé quelques passages[10], c'est la dernière que nous ayons ; elle est du 3 je crois.

Ton papa[11] va assister aujourd'hui à 11 h à un service pour le pauvre PierreDigard. Je n'ose pas y aller, n'étant pas encore sortie ; mais je vais faire une petite tentative de promenade au soleil, puisqu'il y a du soleil et moins de vent. Quand on commence à se soigner, on ne sait plus où s'arrêter dans les mesures de prudence et l'on en devient parfois trop timoré.

Je vous ai expédié hier un panier de fruits. S'il ne met pas trop de temps à vous arriver, je vous expédierai de la volaille.

Il paraît que tu es allé voir André Parenty ou plutôt que, allant à Issy, tu l'as demandé, je t'en remercie.

Je t'embrasse tendrement, cher petit ; je regrette de n'être pas auprès de toi pour te soigner si tu en as besoin ? enfin tu n'es pas abandonné ayant ta sœur marraine, et j'espère d'ailleurs que tu ne vas pas être déprimé comme le pauvre Henriet !

Amitiés à Lucie et aux petits[12].

Emy


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Victor Blaud.
  3. Hyacinthe Vincent (1862-1950), médecin, a mis au point un vaccin contre la typhoïde.
  4. Saint Rémy au Bois (arrondissement de Montreuil).
  5. Probablement Gouy Saint André (arrondissement de Montreuil).
  6. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote ; elle héberge son frère Louis.
  7. Henri Parenty.
  8. Zoé, domestique chez les Froissart.
  9. Pierre Froissart, frère de Louis et Lucie.
  10. Voir la lettre du 7 novembre.
  11. Damas Froissart.
  12. Anne Marie, Suzanne, Georges et Geneviève Degroote.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 12 novembre 1914. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_12_novembre_1914&oldid=55955 (accédée le 10 mai 2024).

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